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Simon Bolivar
La conscience
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Les lettres et discours politiques essentiels du Libertador : la porte d'entrée désormais classique dans l'univers de Simon Bolivar et dans la pensée politique contemporaine en Amérique latine. Traduit et présenté par Laurent Tranier.

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.Les Editions Toute Latitude

3 mai 2024 5 03 /05 /mai /2024 14:13

Latinomag.fr est partenaire d'Opinion Internationale, "le média des décideurs engagés au cœur de l'actualité"

  Les accords dits de la Barbade signés entre le pouvoir vénézuélien et l’opposition sous l’égide des États-Unis le 17 octobre 2023 engageaient le pouvoir vénézuélien à organiser des élections présidentielles loyales au cours du second semestre 2024. Mais dans le Venezuela maduro-chaviste, la vie politique est une telenovela tragique dont les victimes sont toujours le peuple et les opposants au pouvoir. Jusqu’à ce jour en tout cas.

  Comme convenu, l’opposition rassemblée dans la « Table de l’unité démocratique » (Mesa de la Unidad Democrática, ou MUD) a organisé une élection primaire afin de se choisir un candidat unique en vue de la présidentielle qui se déroulera le 28 juillet prochain : le scrutin du 22 octobre a vu la désignation triomphale de Maria Corina Machado, avec 92% des voix des plus de deux millions de citoyens qui ont eu le courage d’y participer. Elle devait donc être la candidate de l’opposition unifiée face au président sortant Nicolas Maduro.

  Sauf que la Justice, entièrement aux ordres du pouvoir exécutif, a opportunément découvert qu’elle aurait naguère commis un certain nombre de délits et l’a condamnée à une peine d’inéligibilité de quinze ans. Écartée d’un scrutin dans lequel elle se serait présentée en immense favorite, elle a fini par accepter de désigner une remplaçante, l’universitaire Corina Yoris… qui, pour des raisons techniques qui resteront mystérieuses, n’a pas pu remplir le dossier d’inscription mis en ligne par les autorités. Afin que le bulletin de vote du candidat de l’opposition unie ne reste pas vierge de tout nom, Edmundo Gonzalez Urrutia a été inscrit in extremis et provisoirement pour le scrutin, avec l’idée – comme la loi vénézuélienne le permet – que lui soit substitué une autre candidature dans les semaines suivantes…

Edmundo Gonzalez Urrutia, candidat malgré lui

  Il y a du provisoire qui dure : Edmundo Gonzalez Urrutia, ancien diplomate de 74 ans, écarté par le chavisme en 2002, novice devant le suffrage universel, apprécié par ses pairs, vient d’être officiellement désigné candidat par la MUD. Il bénéficie du soutien total de Maria Corina Machado, qui du reste s’est lancée dans une campagne à travers tout le pays en brandissant son portrait. En effet, Edmundo Gonzalez Urrutia, au ton rassurant, au propos rassembleur et à l’ambition modeste, reste un inconnu du grand public alors que Maria Corina Machado est la personnalité politique la plus connue et la plus appréciée : compte tenu de la situation catastrophique dans laquelle se trouve le pays, il y a toutes les chances que le transfert de la popularité de Maria Corina Machado vers un vote pour Edmundo Gonzalez Urrutia se réalise largement.

  La situation du Venezuela est telle (un quart de sa population a émigré en 15 ans, son PIB s’est effondré, selon les estimations, de 80% sur la même période, mais il y a bien longtemps qu’il n’y a plus de chiffres officiels en matière d’économie, les services publics sont tous dans un état désastreux, les libertés publiques sont totalement bafouées et le quotidien de la majorité de la population se résume au défi de trouver de quoi manger au jour le jour) que la victoire d’une opposition enfin unie ne fait aucun doute dans le cadre d’une élection loyale. Nicolas Maduro n’avait aucune chance contre Maria Corina Machado, et la victoire de son remplaçant est très probable. Dans le cadre d’une élection loyale.

Les 1001 trucs et astuces des dictatures impopulaires pour gagner des « élections »

  Mais voilà : en dépit des propos conciliants, rassembleurs et rassurants de Edmundo Gonzalez Urrutia à l’adresse de Maduro et de son gouvernement, celui-ci peut-il accepter aussi facilement de quitter le pouvoir (et le fromage que représente la rente pétrolière vénézuélienne, même si depuis l’arrivée de Hugo Chavez au pouvoir en 1999 la production pétrolière est passée de 3 millions à 1 million de barils par jour, après avoir atteint un point bas à 300 000 en 2022), au simple motif qu’il a perdu une élection ? La réponse est évidemment négative. Alors que peut-il se passer ?

  Rappelons tout d’abord que, héritage du processus de la Barbade, les observateurs internationaux, de l’Union européenne mais aussi de l’Institut Carter devraient bien être présents pour rendre compte du processus électoral. Certains seraient d’ores et déjà sur place, avec la capacité de dénoncer des irrégularités qui pourraient se produire.

  Outre qu’il s’est donc arrangé pour que son principal adversaire soit un parfait inconnu, Nicolas Maduro a prévu, pour montrer la grandeur et la beauté du pluralisme politique vénézuélien, que d’autres candidats puissent proposer leurs services au pays. Si bien qu’aujourd’hui, neuf autres candidats revendiquant toutes les couleurs de l’arc-en-ciel politique, sont en lice. Officiellement opposés à Nicolas Maduro, la plupart d’entre eux représentent des partis satellites du maduro-chavisme et ne manquent pas de dire, en guise de campagne, tout le bien qu’ils en pensent. Souvenons-nous, le procédé a été utilisé récemment dans le simulacre d’élection présidentielle en Russie.

  Pour mémoire, la notion de « campagne » prend un sens très particulier pour l’opposition, puisqu’il n’y a plus de presse ni de médias audiovisuels d’opposition ni indépendants depuis longtemps au Venezuela, la majorité de l’entourage politique de Maria Corina Machado a été arrêté sous divers prétextes (et a rejoint dans les geôles du régime les approximativement 300 prisonniers politiques recensés par Amnesty International), les principales figures ayant été contraintes de s’exiler. Les contrariétés d’ordre pratique, les menaces et la violence politique sont omniprésents au quotidien. Le seul espace de ralliement pour les opposants reste celui offert par les réseaux sociaux.

  Il faut donc s’attendre à ce que tous les stratagèmes permettant à une dictature en place d’obtenir satisfaction dans les urnes malgré sa grande impopularité, soient employés. Avec un nouveau bras de fer au terme de l’élection qui verrait Nicolas Maduro revendiquer sa victoire, démentie par l’évidence et un grand nombre de preuves de fraude apportées par les observateurs internationaux, des preuves bien vite disqualifiées par la Justice vénézuélienne aux ordres. S’ensuivrait une nouvelle période de tension entre le Venezuela et les démocraties occidentales, ses voisins se montrant pour la plupart réprobateurs, mais avec des nuances, et le Venezuela se retrouvant plus que jamais au cœur du réseau des autocraties qui se met en place avec les CRIC (Chine, Russie, Iran, Corée du Nord) et, sur le continent latino-américain, les dictatures de Cuba et du Nicaragua.

Scénario du pire et lueur d’espoir

  Face à ce scénario du pire, mais déjà vu ailleurs et, peu ou prou au Venezuela lui-même lors de la précédente élection présidentielle en 2018, il y a une infime possibilité d’issue démocratique et apaisée. Peut-être qu’en effet, par souci de préserver des apparences qui ne trompent en réalité personne et de s’épargner temporairement certaines sanctions économiques imposées par les États-Unis, le Maduro-chavisme s’est placé, à travers les accords de la Barbade, dans une nasse conduisant à sa propre fin. Le scénario, hélas pour les Vénézuéliens, n’est pas le plus probable.

  En attendant, les États-Unis, qui avaient levé une partie des sanctions qu’ils imposent au Venezuela notamment dans le secteur pétrolier, viennent de les rétablir, au vu de l’évidente mauvaise foi du pouvoir vénézuélien.

Laurent Tranier
Rédacteur en chef Opinion Internationale, chef de rubrique Amériques latine, fondateur des Editions Toute Latitude
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15 novembre 2023 3 15 /11 /novembre /2023 10:05

Latinomag.fr est partenaire d'Opinion Internationale, "le média des décideurs engagés au cœur de l'actualité", son fondateur Michel TAUBE et son rédacteur en chef Radouan KOURAK.

Le 22 octobre, Maria Corina Machado, triomphant dans la primaire de l’opposition au Venezuela avec 93% des voix, s’imposait comme la candidate d’union tant attendue pour mettre fin au régime de Nicolas Maduro lors de la présidentielle de 2024.

Trois semaines plus tard, les autorités électorales vénézuéliennes ont « suspendu » les résultats de la primaire et Maria Corina Machado est privée de ses droits civiques. Le chemin vers la démocratie s’annonce long et pavé d’embûches, mais il faut s’y engager résolument.

En 10 ans, le PIB du Venezuela a diminué de 80%, et au moins 7 millions d’habitants, soit 20% de sa population, ont émigré, principalement des actifs et des personnes diplômées. L’eau et l’électricité ne fonctionnent que quelques heures par semaine, y compris dans les écoles et les hôpitaux. Ne parlons pas de l’hyperinflation qui oblige les uns et les autres à jongler entre plusieurs emplois informels. Comme à Cuba, la principale activité est devenue, pour l’immense majorité de la population, la recherche de nourriture, jour après jour, pour soi et pour ses proches. Le taux d’homicides au Venezuela est le plus élevé d’Amérique latine, devant celui du Honduras (El Pais, 3 octobre 2023). Il n’y a plus de libertés publiques, les grands médias historiques ont été fermés depuis longtemps ou sont passés sous le contrôle de proches du pouvoir. L’opposition politique est soit exilée, soit emprisonnée, soit poursuivie.

Alors qu’aujourd’hui le désastre est total, le régime présidé par Nicolas Maduro, l’héritier du défunt Hugo Chavez au pouvoir depuis 2013, s’avance gaiement vers l’élection présidentielle du second semestre de 2024 et vient même d’obtenir une victoire politique en signant (à la Barbade) un accord avec son opposition sur les conditions de la participation de cette dernière à l’élection présidentielle.

Cependant, caillou dans la chaussure maduriste, le pays est soumis à une batterie de sanctions internationales. Outre le fait que les importants avoirs du pays à l’étranger sont gelés et inaccessibles au régime depuis des années, privant celui-ci de ressources dont il aurait bien besoin, ne serait-ce que pour consolider la loyauté de son appareil sécuritaire, des dizaines de ses dirigeants, à commencer par Maduro, sont poursuivis aux États-Unis. Ils le sont en raison de leurs atteintes aux droits de l’homme et à la démocratie (Amnesty International a estimé à au moins 8000 le nombre d’exécutions extrajudiciaires entre 2015 et 2017 et recense au moins 47 morts dans la répression des seules manifestations du 21 au 25 janvier 2019), mais aussi pour narcotrafic et corruption.

L’opposition, totalement muselée et ne disposant pour se faire entendre que des seuls réseaux sociaux, s’est en outre longtemps montrée divisée entre les opposants radicaux au madurisme, prêts à boycotter des scrutins truqués et à le chasser par la force, et ceux acceptant de jouer le jeu des élections… La première tendance, celle des « durs » a longtemps été incarnée par Juan Guaido, président autoproclamé (il présidait alors l’Assemblée nationale) du Venezuela en 2019 à la suite de la réélection frauduleuse de Nicolas Maduro. Juan Guaido a été reconnu par une soixantaine de pays dont les États-Unis et les principales démocraties occidentales. Celui-ci ayant échoué à mettre fin au régime par la manière forte, la voie institutionnelle a été privilégiée par les différents partis d’opposition et l’accord de la Barbade a donc été signé le 17 octobre 2023 avec le régime maduriste, grâce à la médiation de la Norvège et le soutien des États-Unis.

Un accord avec l’opposition… qui profite surtout à Maduro et à Biden

Confirmant que des élections présidentielles auront bien lieu au second semestre 2024, cet accord prévoit que les candidats de l’opposition pourront y participer ( !). En « contrepartie » il prévoit la levée – temporaire et conditionnée à des avancées concrètes – de certaines des sanctions des États-Unis contre le régime vénézuélien et réduit les limitations aux exportations de pétrole.

Il présente aussi, pour le gouvernement des États-Unis, plusieurs mérites du point de vue de la politique intérieure. A travers cet accord, Maduro a en effet enfin accepté la réadmission dans son pays de ses concitoyens émigrés clandestinement et arrêtés aux États-Unis. Les premiers avions n’ont d’ailleurs pas tardé à débarquer à Caracas les Vénézuéliens expulsés, un signal dont Joe Biden avait bien besoin alors qu’il est très critiqué pour le laxisme supposé de sa politique migratoire. Par ailleurs, à l’heure où la guerre en Ukraine se poursuit et où le Proche-Orient s’enflamme de nouveau, provoquant des tensions sur les cours du pétrole, un peu de détente est bienvenue sur ce front qui menaçait de relancer l’inflation difficilement maîtrisée aux États-Unis.

L’opposition vénézuélienne, dindon de la farce ?

Première concernée par ce qui est à première vue une « avancée démocratique » lui ouvrant en théorie les portes de la participation politique, l’opposition n’a pas tardé à saisir l’occasion. La primaire ouverte qu’elle a organisée le 22 octobre 2023 à l’échelle nationale et auprès de sa diaspora, a connu un succès populaire retentissant avec plus de deux millions de participants selon elle, d’importantes files d’attente et aucun incident sérieux. Le résultat est sans appel, Maria Corina Machado l’ayant emporté avec plus de 93% des voix. Âgée de 56 ans, surnommée la « Dame de fer » et parlementaire depuis deux décennies, elle se définit comme « centriste » sur l’échiquier politique. Elle est admirée pour son courage, ayant toujours refusé de s’exiler et pour son engagement politique total et son opposition radicale à Hugo Chavez puis à Nicolas Maduro. Pour la première fois, l’opposition s’avance donc unie et rassemblée vers la présidentielle de 2024, une des conditions indispensables à sa victoire.

Les premiers écueils sont bientôt apparus. Il s’est ainsi avéré que Maria Corina Machado a été privée de ses droits civiques à la suite d’une obscure infraction sur sa déclaration de patrimoine à l’époque où elle était députée. Elle est donc inéligible pour 15 ans. Une vieille astuce des pouvoirs totalitaires en général et de celui du Venezuela en particulier pour écarter des élections leurs adversaires les plus dangereux…

Quelques jours plus tard, on a appris que la Chambre électorale de la Cour suprême de la Justice du Venezuela a déclaré l’ensemble du processus de la primaire illégal et l’a donc… suspendu ! Il est vrai que l’opposition avait préféré repousser l’offre de services de l’organisme chargé d’organiser les élections dans le pays, celui-ci étant totalement inféodé au régime. Toujours est-il que la campagne de l’opposition apparaît entravée avant-même d’avoir réellement commencé.

Jusqu’où ira Maria Corina Machado ?

Quelques semaines après la signature triomphale de l’accord électoral et à près d’un an de l’élection présidentielle, la situation semble déjà dans l’impasse. Il est ainsi totalement inenvisageable que Maduro accepte une confrontation loyale, dans les urnes, face à la candidature unitaire de Maria Corina Machado : il serait balayé.

Alors que les coups bas commencent à pleuvoir, on peut s’attendre à retrouver toutes les méthodes auxquelles le régime de Maduro nous a habitués pour vaincre son opposition : écarter les candidats les plus dangereux et discréditer les autres, susciter des candidatures fantoches pour diviser ses voix, décourager la participation de ses partisans, pour in fine truquer les résultats en prétendant que les autres ont fraudé. Le tout en espérant obtenir, de guerre lasse, une reconnaissance tacite de l’état de fait par la communauté internationale. Et vogue la galère cinq ans de plus…

Dans cette hypothèse, que feront les États-Unis à l’approche de leur propre élection présidentielle elle aussi prévue à la fin de l’année 2024, et dont il est évident qu’elle mobilisera toute leur attention ? Un autre paramètre à ne pas négliger est le soutien sans grande nuances que recueille désormais le Venezuela auprès des grands dirigeants de gauche d’Amérique latine, qu’il s’agisse de Lula au Brésil, de Gustavo Petro en Colombie ou d’Andres Manuel Lopez Obrador au Mexique (qui connaîtra lui aussi une élection présidentielle le 2 juin 2024). A l’heure actuelle, tous ces acteurs se rejoignent pour condamner les sanctions que font peser les États-Unis sur le Venezuela (comme sur Cuba), attribuant à ces sanctions la responsabilité de l’effondrement de ces pays.

La voie pour sortir le Venezuela de l’impasse est donc étroite, et le départ de Maduro du pouvoir dépendra probablement autant de négociations qui lui assureraient une sortie honorable et une retraite dorée, que d’élections équitables. L’opposition vénézuélienne, comme la société civile et la communauté internationale, devront peser de tout leur poids dans cette direction pour éviter que le cynisme maduriste finisse paisiblement de ruiner un pays qui possède les réserves d’hydrocarbures les plus importantes au monde, une nature généreuse et une population éduquée.

Alors que toutes les perspectives de normalisation et de récupération du Venezuela convergent vers la candidature de Maria Corina Machado, le chemin qui s’ouvre devant elle s’annonce extraordinairement difficile. Mais désormais, tout au bout, s’est allumée une lueur d’espoir.

Laurent TRANIER

Chef de la rubrique Amérique latine d’Opinion Internationale

Fondateur des Éditions Toute Latitude

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11 mars 2013 1 11 /03 /mars /2013 06:59

HenriqueCaprilesRadonskiIl y a quelques semaines, nous esquissions un bilan des années Chavez au Venezuela. La mort d'Hugo Chavez, les événements qui l'ont précédée et qui lui succèdent, apportent un éclairage nouveau sur la situation.

La dépendance au pétrole

Au centre de la politique "bolivarienne" se trouvent les missions destinées aux classes populaires, dans tous les domaines : éducation, santé, alimentation, allocations diverses. Si leur efficacité est contestée et leurs résultats contrastés, elles ont apporté un mieux-être matériel indéniable à la partie la plus modeste de la population (le taux de pauvreté est passé de 49% à 27% en 14 ans). Pour autant, cette politique basée sur l'assistanat et la distribution de la rente pétrolière n'ouvre aux plus modestes aucune perspective de sortie de ce qui est souvent considéré comme du clientélisme.

L'économie vénézuélienne est en effet sinistrée : hors du secteur pétrolier, le Venezuela ne produit pratiquement rien. L'instabilité juridique, les nationalisations éclairs, les expropriations, les sanctions contre les entreprises soupçonnées de pratiques déloyales à la révolution chaviste, ont découragé les investisseurs étrangers et désorganisé les entrepreneurs locaux. Le Venezuela importe l'essentiel de ce qu'il consomme, notamment dans le secteur alimentaire, et des pénueries sur les produits de base ne sont pas rares. Quelques indicateurs : 96% des recettes en devises du pays sont issues du secteur pétrolier (le pays est le 4e exportateur mondial et possèderait les plus importantes réserves de la planète) et la dette extérieure est passée, sur la période, de 28 à 130 milliards de dollar (Le Monde du 06/03/2013).

Le pétrole est également le principal instrument de la diplomatie du Venezuela qui le distribue à des conditions avantageuses à ses alliés régionaux (Cuba, Nicaragua, Haïti, République dominicaine, Jamaïque) selon les termes de l'accord Petrocaribe (paiement comptant de 5% à 50% de la facture et crédit à long terme et à bas taux sur le solde).

ChavezDisparuViolence et corruption

Le secteur pétrolier, entièrement nationalisé, gravite autour de la compagnie nationale Petroleos de Venezuela SA (PDVSA) : les bénéfices colossaux réalisés par cette entreprise sont directement transférés aux missions et échappent au contrôle du Parlement. Cette opacité contribue à alimenter une société largement corrompue. De même, le discours radicalement anti-américain d'Hugo Chavez, sa proximité avec tous les dirigeants les moins fréquentables de la planète (les frères Castro à Cuba, l'Iranien Ahmadinejad, le Syrien El Assad, le Biélorusse Loukachenko, etc.), sa violence verbale à l'égard de ses opposants internes et externes, l'arbitraire de sa gouvernance, ont contribué à diviser le pays en deux camps antagonistes : celui de ses amis et celui des "ennemis du Venezuela", des "fascistes", des "porcs" ou des "chiens".

L'inefficacité et la corruption de la police et du système judiciaire ont favorisé le développement des trafics et de la criminalité : le pays serait ainsi, selon l'Observatoire vénézuélien de la violence, au deuxième rang mondial pour le nombre d'homicides, après le Honduras, avec un taux de 73 pour 100 000 habitants en 2012.

Démocratie confisquée

La stratégie d'Hugo Chavez a été d'une part de s'attacher l'affection des classes populaires à travers les "missions" et d'autre part de saturer l'espace médiatique de sa présence. Les chaines de télévision publiques se sont multipliées (de 1 à 7 durant sa présidence) avec obligation de retransmettre sa mythique et interminable émission hebdomadaires Alo Presidente, et contrainte a été faite à l'ensemble des canaux de retransmettre ses allocutions, aussi soudaines que fréquentes. Les médias hostiles, de plus en plus rares, ont progressivement été muselés par la réglementation, les menaces, les sanctions. Sa présence, sa faconde, sa simplicité, son humour, en un mot son charisme ont fait le reste : pour une frange de la population, le président bolivarien est un héros que sa disparition transforme en demi-dieu.

La mobilisation de millions de Vénézuéliens, descendus dans la rue au moment de sa mort, est un phénomène relativement courant, chaque victoire électorale et de nombreuses autres célébrations étant le prétexte à d'immenses défilés. La compagnie PDVSA n'est pas seulement un robinet à dollars pour le régime. Elle est aussi le vivier du Parti Socialiste Unifié du Venezuela (PSUV) dont elle assure l'emploi de milliers de membres. En 2002, la compagnie produisait 3,1 millions de barils par jour avec 23 000 salariés. Après que... la moitié de ses effectifs aient été licenciés à la suite d'une grève anti-chaviste, elle en produit aujourd'hui 2,4 millions avec 120 000 salariés ! Des chiffres à l'avenant dans les principales administrations de l'Etat. Autant de troupes militantes faciles à mobiliser chaque fois que le besoin s'en fait sentir...

NicolasMaduroLe 14 avril, Maduro ou Capriles ?

Si toutes les institutions semblent verrouillées, la disparition du chef charismatique ouvre cependant une ère d'incertitudes. L'armée a montré sa solidarité avec le régime et la Cour constitutionnelle a validé le raisonnement sinueux qui a conduit Nicolas Maduro, le Vice-Président et héritier désigné par Chavez lui-même, à devenir Président-candidat jusqu'à l'élection du 14 avril. Les partisans sont mobilisés, les médias officiels assurent le service après-vente avec zèle... Et pourtant, une incertitude demeure : le leadership d'Hugo Chavez a été vivement contesté lors de l'élection présidentielle d'octobre 2012 où son opposant, le jeune et brillant Henrique Capriles Radonski, candidat unique de l'ensemble de l'opposition, a obtenu 44% des voix au second tour dans un contexte défavorable.

Capriles sera l'adversaire de Maduro qu'il accuse "d'utiliser le corps de Chavez pour faire campagne". Il dénonce les mises en scène qui, de la réélection d'un Chavez malade aux cérémonies d'obsèques en passant par le projet d'embaumement, ont été omniprésentes. On peut aussi penser que, le 14 avril, l'émotion de la disparition de Chavez sera quelque peu retombée, que les uns et les autres se rendront compte que Maduro n'est pas Chavez et que le pays aurait bien besoin d'un peu de respiration démocratique. Que Capriles n'est pas le "fasciste" décrit par Maduro, quand il ne le traite pas, avant de présenter des excuses, de "gros pédé". Qu'enfin son projet est de maintenir les missions dans les quartiers pauvres quand elles ont prouvé leur utilité, de lutter contre la délinquance et la criminalité, de relancer l'appareil productif, et de rassembler pour l'apaiser un pays qui en a bien besoin.

Consulter le dossier du Monde sur la succession d'Hugo Chavez. 

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27 décembre 2012 4 27 /12 /décembre /2012 06:23

Choiseul-ProblemesAmeriqueLatine86.jpgAppuyée sur la formidable rente pétrolière, la "révolution bolivarienne" instituée par Hugo Chavez en 1998 au Venezuela, a cédé la place au "socialisme du XXIe siècle" en 2005. Au-delà des slogans, le numéro 86, Automne 2012, de la revue Problèmes d'Amérique latine, revient sur la réalité des "remaniements de la scène sociopolitique" durant la période chaviste. Autrement dit, quels sont les effets politiques du leadership exercé par Hugo Chavez, entre charisme, populisme et polarisation ? Quelles sont les conséquences de ce régime sur les acteurs institutionnels et quelle est la réalité de la démocratie participative proclamée ? Quels sont les effets des politiques publiques mises en oeuvre à destination des secteurs défavorisés ?

Sur ce dernier point, Natacha Vaisset et Vincent Lapierre essaient de dégager le bilan des "missions", installées parallèlement au système traditionnel dans le domaine de la santé et de l'éducation. D'où il ressort, pour ce qui est de la santé, que le remplacement d'un système assuranciel par un système assistanciel et la "présence de plus de 30 000 médecins cubains exerçant au Venezuela en échange de 115 000 barils de pétrole par jour" n'a pas permis d'infléchissement significatif des principaux indicateurs de santé (mortalité infantile, espérance de vie à la naissance et mortalité maternelle à l'accouchement). En matière scolaire, les résultas sont meilleurs et les progrès dans la lutte contre l'analphabétisme réels, même si "la dimension idéologique conférée à l'activité éducative suscite des inquiétudes".

A lire, le numéro 86 de la revue Problèmes d'Amérique latine - Venezuela : remaniements de la scène sociopolitique.

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10 septembre 2010 5 10 /09 /septembre /2010 00:33

ChavezBolivar.jpg

La sincérité de l'affection, de l'admiration, de la fascination qu'Hugo Chavez ressent pour Simon Bolivar (1783-1830) ne saurait être mise en doute. Le Président vénézuélien est imprégné, il est inspiré par le Libertador de l'Amérique latine, certainement dans la forme et peut-être sur le fond.

Sur le fond, dans sa pensée politique et dans son action, on ne saurait cependant l'affirmer avec certitude. La pensée de Simon Bolivar a en effet été revendiquée par toute la palette des partis politiques, de droite et de gauche, et célébrée par tous les régimes, du plus démocratique au plus autoritaire. Lors du centenaire de la mort de Simon Bolivar, en 1930, le Libertador est ainsi invoqué en Italie comme l'un des précurseurs du fascisme. Franco sera par la suite représenté comme "l'authentique interprète de sa pensée". Il n'y a que Marx qui rejette sans nuance le Libertador dans la catégorie "sanguinaire". Mais il est vrai qu'il ne connaissait pas bien l'histoire de l'Amérique latine et qu'il ne pouvait imaginer combien de crimes seraient commis au nom de sa propre pensée.

En Bolivar, Hugo Chavez admire l'homme admirable, le grand homme, le héros. Le général victorieux, le conquérant, l'homme d'Etat qui a changé le cours de l'Histoire et redessiné la carte du continent.

En Bolivar, Hugo Chavez admire aussi certaines idées du Libertador, son obsession de la liberté pour les peuples d'Amérique espagnole, son intuition d'une identité latinoaméricaine, l'égalité qu'il proclame en principe entre les hommes de toutes les origines et de toutes les conditions, c'est l'idée de nation. Sa volonté d'unir les peuples au-delà des frontières, son désespoir de ne pas voir émerger d'esprit public, de sens de l'intérêt général au sein des élites du Venezuela ou de Grande-Colombie. L'importance de l'éducation, comme condition de la citoyenneté et donc instrument au service de la liberté.

Il y a peut-être chez Hugo Chavez une admiration excessive, car sans nuances. Une admiration déraisonnable mais certainement pas irraisonnée. Car, pour tous les motifs pour lesquels Hugo Chavez admire Simon Bolivar, et pour d'autres encore, de meilleurs et de moins bons, le Libertador est une figure populaire. Fabuleusement populaire. Et un homme politique, un homme d'Etat souhaitant poursuivre son action au sommet du pouvoir, a besoin de popularité. Et il a intérêt à s'identifier à une telle figure populaire.

"Au fond de mon coeur, depuis des années, j'ai la conviction que Bolivar n'est pas mort de la tuberculose" a déclaré Hugo Chavez en ordonnant, le 16 juillet 2010, que soit ouvert le tombeau de Simon Bolivar au Panthéon national de Caracas, afin qu'il soit procédé à des analyses des restes de son corps. Pour prouver que le Libertador n'est pas mort de la tuberculose, mais assassiné, vaincu au terme d'un lâche complot.

Une mort au combat et une trahison qui le grandiraient. Un complot qui prolongerait le parallèle entre le héros et Chavez, qui se proclame sans cesse victime de basses manoeuvres, menacé par son ennemi nord-américain et ses complices impérialistes.

Il n'y a pas de doute, en réalité, sur le fait que Bolivar soit mort de la tuberculose, ou d'un traitement à base d'arsenic destiné à l'en guérir. Il a échappé à bien trop d'attentats alors qu'il était au pouvoir pour succomber à la première intrigue une fois qu'il l'a quitté. Hugo Chavez ne serait pas le premier responsable politique essayant de réécrire l'histoire dans le sens de ses intérêts. Ceux d'un homme politique souhaitant rassembler le peuple autour de ses figures, d'hier et d'aujourd'hui, quitte à manipuler la démocratie et à trahir son héros ?

 

A lire : Simon Bolivar, la conscience de l'Amérique

Traduit et présenté par Laurent Tranier
Editions Toute Latitude - Collection "Esprit latino" - 192 pp. - 17,80 €

Les lettres et discours politiques du Libertador de l'Amérique latine enfin disponibles en Français !

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